Hausse des taux et SCPI : quel impact réel ?
De nombreux associés et investisseurs potentiels nous interrogent sur l’impact de la hausse des taux (qui est la résultante de la résurgence de l’inflation, à travers l’action des banques centrales pour la contenir) sur les SCPI. C’est un sujet complexe.
La hausse des taux peut impacter les SCPI à deux niveaux : le coût de leurs financements d’une part, et la valeur de leur patrimoine d’autre part.
Le coût du financement des SCPI
Concernant le coût du financement, il faut tout d’abord rappeler que le taux d’endettement moyen des SCPI est inférieur à 20% (avec il est vrai des disparités importantes selon les véhicules). S’il n’est évidemment pas question d’éluder le sujet, il convient néanmoins, à l’échelle du marché, de le relativiser.
Les SCPI sont globalement très peu leveragés par rapport aux autres catégories d’investisseurs immobiliers.
Ensuite, tout est une question de temporalité. Selon nous, il ne faut pas craindre d’impact négatif immédiat, car la plupart des SCPI se sont endettées à coût fixe, ou à défaut avec des mécanismes de couverture qui les protègent d’une hausse soudaine et importante des taux comme cela a été le cas au 2e semestre 2022.
À plus long terme, toutes choses égales par ailleurs, la hausse des taux est naturellement et mécaniquement dilutive pour les SCPI, mais c’est sans compter le temps dont les SCPI disposent pour anticiper et contrer cet effet dilutif : c’est mécaniquement le cas pour la dette amortissable, et en ce qui concerne les prêts in fine – remboursement intégral du prêt à l’échéance – , les SCPI s’étant endettées de manière progressive ces dernières années (notamment pour compenser la compression progressive des taux de rendement à l’acquisition), les échéances de remboursement vont s’échelonner sur plusieurs années.
Les leviers de compensation pour les SCPI sont divers :
- en achetant dans des meilleures conditions compte tenu de la hausse des taux,
- l’indexation des loyers qui accompagne la hausse des taux,
- en puisant dans leurs réserves,
- en cédant des actifs permettant de générer des plus-values, etc.
Au global, nous pensons donc qu’à l’échelle du marché, les SCPI sont en capacité d’absorber le renchérissement du financement, même si les situations pourront dévier de manière significative d’une SCPI à l’autre.
Ce qui est certain, c’est que les gérants doivent mettre en place des stratégies de « deleveraging » et anticiper les mesures à mettre en place pour maintenir leur performance dans la durée avec un effet de levier dont l’efficacité sera mécaniquement moindre.
La valeur du patrimoine des SCPI
Concernant maintenant la valeur du patrimoine des SCPI, nombreux semblent penser que le lien entre la hausse des taux et la valeur de l’immobilier est quasi – mécanique.
Or, c’est loin d’être le cas, et en fin de compte, il n’est pas inutile de rappeler que les prix de l’immobilier sont déterminés par l’offre et la demande et non pas directement par le niveau des taux d’intérêt.
Ainsi, dans le cas de l’immobilier résidentiel, c’est la baisse de la demande solvable qui fait progressivement baisser les prix, puisque l’immense majorité des acquéreurs ont recours massivement au crédit pour acheter des logements.
Or, les banques françaises ne souhaitant plus augmenter la durée des prêts, la hausse des taux fait mécaniquement baisser le capital « empruntable » à taux d’effort constant. La vaste majorité des acquéreurs n’ayant pas les moyens pour compenser par un apport plus conséquent, les prix finissent par baisser jusqu’à un nouveau point d’équilibre.
Les disparités sont néanmoins très fortes selon les segments de marché compte tenu de la nature très différente de la solvabilité des candidats acquéreurs (marges de manœuvre sur le taux d’effort, apport disponible etc).
Une situation « schizophrénique » pour les SCPI
Pour les SCPI, le sujet est assez « schizophrénique », puisque les gérants veulent acheter moins cher pour compenser l’effet de la hausse des taux, mais ne veulent pas pour autant voir la valeur de leur patrimoine baisser à travers les fameuses expertises. Or, les deux sont étroitement liés.
Rappelons en effet que le patrimoine des SCPI est valorisé par des experts indépendants sur la base de plusieurs méthodes et notamment des méthodes dites « extrinsèques », basées sur les taux de rendement à l’acquisition et les valeurs métriques comparables sur le marché.
Les pratiques des opérateurs sur le terrain sont donc déterminantes pour les expertises, et à ce stade, sur le 2e semestre, c’est l’attentisme qui a très nettement prévalu, tant du côté des acheteurs que des vendeurs.
Résultat : le repricing n’ayant pas été acté sur le terrain, les expertises ont été pour le moment relativement peu impactées en France (l’ajustement étant plus rapide dans les pays anglo-saxons).
Perspectives et dynamique à venir
La question est donc de savoir comment tout cela va évoluer en 2023. Les SCPI ne représentent qu’environ 25 à 30% du marché de l’investissement en immobilier tertiaire en France, aux côtés des foncières, des fonds (français ou étrangers, privés ou souverains), et des assureurs.
Dans un contexte d’incertitude, les fonds étrangers ont tendance dans un premier temps à se replier sur leur marché domestique.
Quant aux assureurs, il est vraisemblable qu’ils vont limiter dans un premier temps, dans l’Actif Général (ie. dans le fonds euros), leur exposition à l’immobilier pour pouvoir à nouveau se concentrer sur l’achat d’obligations (souveraines ou corporate) avec un rendement correct.
Ceci pourrait donc ralentir dans un premier temps la compétition sur les très gros deals en France (par exemple, la logistique XXL très core) souvent ciblés par ces opérateurs, et provoquer ainsi une détente sur les prix et donc sur les valorisations.
On peut aussi penser que la province en France tirera son épingle du jeu. Les deals y sont en moyenne plus petits qu’en Ile de France et la quote-part des bureaux dans les flux d’investissement y est proportionnellement moins importante (le recul en quote-part de cette classe d’actifs se confirme en effet trimestre après trimestre, avec notamment un recul très marqué dans certains secteurs en Ile de France).
Par ailleurs, les régions profitent de la présence de nombreux investisseurs locaux qui continuent malgré tout à trouver du financement (si le financement est devenu cher, il reste malgré tout disponible, ce qui n’était pas le cas après la chute de Lehman Brothers en 2008).
Le rôle des flux de collecte SCPI
Pour ce qui est des SCPI en particulier, la compétition et donc le repricing va beaucoup dépendre des flux de collecte à déployer.
À court terme, les SCPI ayant énormément collecté en 2022 et en particulier sur la fin de l’année, il va bien falloir écouler cet argent au cours des prochains mois… même si le cash peut désormais rapporter un peu, ce qui n’était pas le cas ces dernières années.
À moyen terme, les premières déclarations des grands gérants laissaient entendre une stabilisation des flux de collecte en 2023 à un niveau élevé ; ce scénario sera-t-il mis à mal par la concurrence des différents livrets, et, progressivement, du fonds euros ? À voir …
Ce qui est sûr, c’est que pour « faire des bonnes affaires », il va falloir sortir des sentiers battus, et nous ne sommes pas convaincus que l’internationalisation croissante des SCPI soit forcément la bonne réponse (mais cela méritera un E Billet à part entière !).
Pour conclure, nous n’avons pas de boule de cristal, mais notre conviction est qu’après une décompression relativement indifférenciée des taux de capitalisation à travers les différentes typologies du marché, nous allons assister à une dynamique d’offre et de demande extrêmement contrastée selon les différents segments de marché avec par conséquent des effets de repricing très différents.
Rappelons également que les gérants de SCPI disposent d’un matelas important (10%) pour fixer le prix de la part de leur SCPI par rapport à la valeur (de reconstitution) de leur patrimoine.
Par conséquent, quand bien même les expertises fin 2023 étaient plus sévères qu’en 2022, l’ajustement sur le prix de part des SCPI ne serait pas mécanique.
András Boros et Léonard Hery